Alors qu’elle devrait représenter un havre de détente et de plaisir au cœur des vacances estivales, la plage se révèle pour de nombreuses femmes le théâtre de situations particulièrement anxiogènes. À Marseille par exemple, la situation a conduit la municipalité à reconduire l’opération Safer Plage qui permet de signaler et de géolocaliser en temps réel via une application toute agression verbale ou physique sur les principales plages publiques de la cité phocéenne.

Une initiative salutaire qui mériterait certainement d’être étendue au regard du constat alarmant que dresse l’étude commandée à l’IFOP par Voyage avec Nous sur les pressions sexuelles et sexistes vécues par les Françaises à la plage et autres lieux de baignade. Ses résultats révèlent en effet que presque la moitié des femmes interrogées, notamment les plus jeunes d’entre elles, ont déjà été confrontées à une forme de harcèlement ou d'atteinte sexuelle lors de leurs sorties balnéaires.

Gestes déplacés, remarques désobligeantes ou encore attouchements conduisent de nombreuses baigneuses à mettre en place des stratégies d’évitement contraignantes au lieu de profiter des plaisirs du sable en toute tranquillité, en toute sécurité.

Si plusieurs facteurs, santé notamment, expliquent la désaffection continue des Françaises pour la pratique du topless, les différentes formes de pressions sexistes et sexuelles figurent parmi les principaux freins qui conduisent nombre d’entre elles à ne plus enlever le haut, quand bien même elles en auraient occasionnellement envie.

Un phénomène loin d’être anodin

Généralement associée à la détente et au plaisir, la plage s’avère être un lieu d'insécurité pour de nombreuses femmes. En effet, une Française sur deux (49%) a déjà subi une forme de harcèlement ou d'atteinte sexuelle dans un lieu dédié aux bains. Ce chiffre alarmant met en évidence l’exposition des femmes aux mêmes types de harcèlement à la plage que dans d'autres espaces publics tels que la rue ou les transports en commun.

Qui plus est, le dévoilement des corps et leur immobilité peuvent être de nature à encourager certaines formes de masculinité toxique. Pour preuve, 34% d’entre elles ont déjà été observées de manière appuyée, 35% ont fait l'objet de sifflements ou de gestes déplacés, et 29% ont été abordées malgré leur refus manifeste. Ces atteintes peuvent prendre des formes plus graves, comme l'exhibition forcée (18%), les attouchements (13%), voire les menaces à caractère sexuel (9%). Au total, plus d’une Française sur quatre (27%) a été victime d'agressions sexuelles à la plage, à la piscine ou encore au bord d’un lac.

Les femmes plus jeunes, souvent perçues comme plus vulnérables, sont particulièrement concernées par ces phénomènes. Ainsi, 65% des répondantes âgées de moins de 30 ans attestent avoir été victimes de pression ou de harcèlement à caractère sexuel dans ce cadre, et près d’une sur trois (31%) fait état d’au moins une forme d’agression sexuelle sur la plage. Quant aux femmes de tous âges qui pratiquent le topless, elles sont également particulièrement ciblées : 64% disent avoir subi ce type de pression et 44% ce genre d’agression.

Safer Plage, une application qui séduit

À Marseille, la mairie et plusieurs associations féministes ont reconduit cette année le dispositif Safer Plage, qui permet à toute personne victime de harcèlement ou d’agression d’alerter via l’application du même nom une équipe de médiateurs mobiles. Saluée par les vacancières, l’initiative semble aussi convaincre les Françaises interrogées par l’IFOP puisque près de 7 sur 10 (69%) estiment qu’elle est de nature à réduire les formes de harcèlement ou d’agression sexuelle sur les plages urbaines.

Ce type d’application doit toutefois encore faire ses preuves dans la mesure où seulement la moitié des répondantes indiquent que leur existence les inciterait à se rendre sur ces plages et moins de 4 sur 10 (39%) qu’elles seraient de nature à ce qu’elles s’y déshabillent plus facilement.

Éviter pour ne pas subir

Conséquence directe des situations gênantes, dégradantes ou même dangereuses qu’elles y ont subi ou qu’elles sont susceptibles d’y vivre, 46% des femmes qui se rendent à la plage se sentent obligées de mettre en place différentes stratégies d’évitement, une proportion qui monte à 72% chez celles qui ont été victime d’une forme de harcèlement dans l’année écoulée. Elles citent en premier lieu le renoncement à se baigner en maillot de bain (26%), qui est pourtant la raison principale de fréquenter les plages ! Près d’un quart (24%) des Françaises indiquent également s’être déjà résignées à ne pas porter certaines tenues (mini-short, décolleté, robe d’été…) et, dans des proportions similaires (22%) à ne pas s’y rendre faute d’avoir des amis ou de la famille pour les accompagner. Ainsi, pour plusieurs millions de Françaises, la plage est loin d’être l’espace de détente auquel elles sont en droit d’aspirer.

Plage fréquentée, topless écarté

Dans ces conditions et face à ces pressions, il n’est guère étonnant que le niveau de fréquentation de la plage détermine la faculté pour les femmes à y pratiquer le topless. Elles sont ainsi presque deux fois plus nombreuses (36% contre 20%) à avoir déjà bronzé seins nus sur une plage publique presque déserte plutôt que sur une plage très fréquentée. Toutefois, les chiffres montrent qu’enlever le haut du maillot ne concerne aujourd’hui qu’une minorité des Françaises, moins d’1 sur 10 l’ayant fait au cours des trois dernières années sur une plage quasi déserte (9%) et 1 sur 20 seulement (5%) sur une plage bondée.

Une tendance que confirment les habitudes vestimentaires des femmes lorsqu’elles se rendent à la plage. Le maillot sans le haut n’est ainsi porté habituellement que par 3% des répondantes, qui lui préfèrent de très loin le maillot une pièce classique (47%) et le deux pièces (44%).

Le choix du maillot est par ailleurs très étroitement corrélé à l’âge de celles qui le portent : plus elles vieillissent et plus les femmes abandonnent le deux pièces au profit du monokini. 69% des 18-24 ans optent ainsi pour le bikini quand 74% des plus de 65 ans préfèrent porter le maillot une pièce.

Regards et photos volées

Si elles figurent malheureusement en bonne place, les agressions dont peuvent être victimes les femmes à la plage ne constituent pas la première des raisons qu’elles évoquent pour ne pas pratiquer le topless. En effet, c’est l’aspect santé – en l’occurrence les risques pour la peau de l’exposition au soleil – qui est d’abord avancé par 53% des Françaises. Suivent la crainte qu’une photo d’elles seins dénudés puisse être diffusée sur les réseaux sociaux (36%), le regard concupiscent des hommes sur leur poitrine (35%) et la peur d’une agression verbale ou physique (31%).

Ce qui vaut pour les répondantes prises dans leur ensemble se nuance lorsque l’on rentre dans le détail des chiffres. Chez les plus jeunes, la raison sanitaire est largement devancée par d’autres considérations directement liées aux autres : 54% des femmes de moins de 30 ans disent que le regard concupiscent des hommes est un frein à s’exposer seins dénudés, 51% qu’elles craignent la diffusion de photos et 46% qu’elles redoutent d’être agressées. Les risques pour leur peau n’arrivent qu’en quatrième position (38%) dans cette tranche d’âge.

Une pratique générationnelle en voie d’extinction

S’il fut un symbole largement répandu de l’émancipation des femmes dans les années 70 et 80, le monokini a, notamment pour les raisons que nous venons de détailler, perdu nombre d’adeptes décennie après décennie. Qu’elles le pratiquent occasionnellement ou régulièrement, un quart (25%) des Françaises enlèvent aujourd’hui le haut du maillot. Une tendance particulièrement marquée chez les moins de 50 ans, qui étaient 43% à dénuder leurs seins il y a 40 ans contre 19% aujourd’hui.

Et il y a de grandes chances que le remplacement générationnel accentue encore dans le futur ce phénomène : si près du tiers (31%) des femmes de plus de 65 ans – qui ont vécu l’émergence du monokini – indiquent pratiquer le topless, elles ne sont que 10% chez les 18-24 ans.

Le point de vue de Louise Jussian, chargée d’études senior au pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’IFOP

« Cette enquête met particulièrement en évidence que le sexisme ne s’arrête pas à la porte des vacances, alors même que la période est synonyme de bien-être, de détente et de loisirs. Malheureusement, on constate que la plage est aussi, comme d’autres lieux publics, un endroit où les comportements à caractère sexistes et sexuels sont fréquents, à l’exemple de la moitié des femmes interrogées qui disent y avoir été victimes de harcèlement et plus du quart d’une agression sexuelle. Dans ce contexte, l’application lancée par la ville de Marseille est vécue comme une initiative intéressante, mais qui devra faire ses preuves avant d’inciter les femmes à se sentir plus libres de leur tenue et de leurs mouvements. Comme on le voit à la lecture des résultats, les femmes sont en effet nombreuses à avoir adopté des stratégies d’évitement en réponse aux situations évoquées. Si d’autres raisons, comme la santé, sont évoquées, les pressions sexistes et sexuelles qu’elles subissent expliquent également pourquoi la pratique du topless est de moins en moins répandue, notamment sur les plages les plus fréquentées, et donc plus soumises au regard des autres et aux risques d’agression. »